LabL portrait BORDEAUX Business

Marie de Faria et Anthony Raymond, Labl. Portrait

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Marie DE FARIA et Anthony RAYMOND se connaissent depuis plus de quinze ans, étant voisins dès leur plus jeune âge. Ensemble, et en couple désormais, ils fondent Labl il y a un an, un « distributeur de mode éthique » conçue par des créateurs français ou européens. Un projet mûri pendant les études de Marie en école de communication puis en commerce international et marketing à Kedge Business School Bordeaux.

De la frustration à la mise en oeuvre de solutions éthiques

En tant que consommatrice, Marie se trouve régulièrement frustrée par les vêtements qui lui sont proposés en boutique. Que ce soit sur internet ou en magasin, déceler des marques éthiques alliant qualité, fabrication européenne et bonne condition de travail quant à leur confection est une gageure.

Anthony de son côté reconnait volontiers la nécessité d’évoluer dans nos manières de consommer. Selon lui, il devient délicat d’éluder complètement la RSE, quel que soit le type de structure.

Après quelques mois d’existence en ligne, le duo a pu ouvrir une boutique au cœur de Bordeaux. Le concept ne cesse de s’étoffer : Labl développe désormais sa marque propre en plus des créateurs. Une nouvelle version de leur site e-commerce est sortie au début de l’année 2018, et l’entreprise a récemment ouvert une partie agence événementielle pour organiser des soirées, valoriser les créateurs et faire connaitre la boutique comme lieu de vie pour la mode éthique.

Une nouvelle aventure entrepreneuriale après l’événementiel

Pour Anthony, l’aventure entrepreneuriale n’est pas une première puisqu’il a déjà créé une entreprise à ses 18 ans afin de financer ses études. Il travaille alors dans l’événementiel et organise notamment des mariages. En suivant, il crée une société, prestataire de Foncia, afin de travailler sur des études d’implantation bordelaises pour des entreprises. Après avoir vendu cette deuxième structure à l’agence immobilière, il rejoint Kedge en tant que community manager.

Le projet Labl en tête, il est encouragé par l’école, très sensible aux démarches RSE, à développer l’entreprise et il se voit proposer un temps partiel pour lui permettre d’allier les deux. Au delà de cet aménagement du temps, Anthony l’assure, Kedge est une force pour Labl. L’école se montre de très bon conseil et propose un accompagnement de qualité en apportant une expertise concernant le business plan, les réglementations, ou encore les aspects comptables et financiers par exemple.

Faire naître ses ambitions

Marie de son côté a mûri son projet lors de son stage de six mois au sein de Michel & Augustin à Lyon. Au sein d’une entreprise qui insuffle un esprit entrepreneurial et intrapreneurial conséquent, Marie vit cette expérience comme un véritable accélérateur : l’idée de Labl était née, une plateforme sur laquelle on pourrait acheter une mode éthique réalisée par des petits créateurs, une alternative raisonnée face aux designers attachés à de grands groupes où rien n’est artisanal.

LabL portrait BORDEAUX Business

L’équilibre des consciences et du marché

Le concept Labl restant peu démocratisé, l’équipe reconnaît avoir une mission pédagogique afin « d’éduquer » peu à peu le consommateur.

Il est important pour nous de ne pas faire de discours moralisateur. On ne peut pas s’habiller éthique tout le temps mais on peut remplacer progressivement certaines catégories de vêtements. C’est un peu le même concept que devenir végétarien : progressivement, on baisse un peu sa consommation de viande, pour que ce ne soit pas une tendance mais une conviction pure.

Conscients des nombreux freins que les consommateurs peuvent rencontrer quant aux achats éthiques, notamment dans la mode, Marie et Anthony s’attachent à étudier les motivations d’achat chez les marques de « fast-fashion » comme Zara ou H&M par exemple, pour travailler avec les créateurs à répondre à ces besoins. Outre le prix, c’est aussi souvent la diversité des modèles qui pousse l’acheteur à se décider. Labl travaille donc à développer le secteur pour permettre de s’y habiller plus facilement. Ils souhaitent y apporter un aspect constructif et insistent sur la dimension globale de la démarche, qu’ils veulent voir s’inscrire dans l’évolution des modes de consommation.

Concurrencer par l’éthique plutôt que par le prix

On ne pourra pas concurrencer une robe à 10€ de chez une grande chaîne de prêt à porter  mais si demain elle finit par intégrer une dimension plus éthique à sa production, on aura déjà gagné. Pour faire évoluer les mentalités, il faut progresser dans le même marché et selon ses règles au risque de ne pas tenir.

L’idée n’est donc pas de réinventer le secteur de la mode et de le révolutionner mais bien de réorienter les préoccupations pour éveiller les consciences et proposer des alternatives, offrir le choix.

La mode éthique, une question de choix et de compromis

Alors que Labl est le fruit des convictions de Marie et Anthony, les tenants et aboutissants du marché du textile restent délicats à appréhender. Labl se trouve donc en constante formation sur sa propre démarche et progresse au fur et à mesure pour faire les meilleurs choix petit à petit.

Aujourd’hui, on ne propose plus de cuir car cette matière pose un gros problème écologique et humain à cause du tannage au chrome qui empoisonne les gens sur la chaîne de production. Au début, Labl en proposait mais ça n’allait pas avec les valeurs et même les tanneries françaises utilisent ces méthodes.

Désormais, il existe des alternatives au cuir animal, en utilisant le tannage végétal. Visuellement, la qualité vaut le cuir traditionnel. Labl vend d’ailleurs les chaussures vegan en cuir végétal de Marie Viard, la créatrice de la marque Minuit sur Terre.

Au-delà des questions sur l’impact humain de la production, Labl s’est également trouvé confronté à la problématique du « made in France ». S’il leur paraissait intéressant d’impulser cet aspect au sein de leur boutique, Marie et Anthony se sont rapidement rendus compte que local ne rimait pas systématiquement avec éthique et qualité.

Les lois sur certains sujets (comme les fourrures de vison) sont autorisées alors que dans certains pays d’Europe de l’est, c’est interdit ou réglementé. De plus, ce qu’il y a sur les étiquettes ne veut plus rien dire car seule la dernière transformation peut être faite en France pour que le produit soit estampillé made in France.

Réduire les émissions de carbone

Labl tente par ailleurs de composer avec le problème du transport maritime, le plus polluant au monde suivi de l’élevage bovin. La question se pose par exemple avec le coton bio, qui est aujourd’hui ce qui se fait de mieux car il demande beaucoup moins d’eau que les autres cotons mais il vient toujours de loin, a minima de Turquie.  Privilégie-t-on alors une matière bio qui vient de loin ou de la viscose recomposé chimiquement près de chez nous ?

Tout le paradoxe de la mode éthique, c’est d’être dans l’obligation de faire des choix en s’adaptant au secteur, au regard de l’offre existante. Il s’agit en effet d’un marché naissant, comme l’a pu être à une époque l’alimentation bio, qui connaît désormais un essor indéniable, et une diversité de produits conséquentes – notamment dans les rayons des grandes surfaces.

On fait ces choix pour le consommateurs afin qu’il ait accès à la transparence sans avoir à faire le travail de recherche et d’analyse sur comment, à partir de quoi et où sont faits les produits.

Bouche à oreille et valorisation de la clientèle

Depuis peu, Labl et son site e-commerce ont commencé à enregistrer des ventes dans différents pays d’Europe. Représentant actuellement environ 10% des ventes, les commandes viennent de Belgique, d’Allemagne ou du Royaume-Uni, mais rarement de plus loin car les frais de ports découragent. Si Marie et Anthony travaillent avec deux influenceuses positionnées sur la mode éthique et avant tout clientes de Labl, ils ont tout d’abord fait le pari de ne se fier qu’à la qualité de la relation client et aux réseaux sociaux.

Plutôt que de mettre de l’argent en publicité, on valorise nos clients avec des cadeaux et petites attention pour leur montrer que c’est grâce à eux que Labl se développe.

Les premiers mois, Labl faisait de la publicité et obtenait entre 4000 et 6000 visiteurs uniques sur la boutique en ligne, mais cela n’amenait pas forcément à l’acte d’achat. Après analyse de la situation, ils ont préféré arrêter les campagnes pour récupérer moins de trafic mais des visiteurs beaucoup plus qualifiés et un taux de conversion plus intéressant.

Convaincus que leurs clients sont leurs meilleurs commerciaux, Marie et Anthony misent sur l’attachement à la marque et le contact. Selon eux, chaque client est un ambassadeur de la marque, et y investit d’une certaine manière, car à chaque fois, il y a du ré-achat et cela fait avancer l’entreprise, afin de pouvoir proposer de nouveaux produits.

Investissement et maîtrise des risques

Après un an d’exercice, Labl n’atteint pas encore son seuil de rentabilité mais s’en rapproche de plus en plus. Le mois de décembre, avec les fêtes de fin d’année, a été le premier mois où ils ont validé leur business model. Comme le concept est encore peu répandu, la reconnaissance prend plus de temps que pour la « fast-fashion ».

Labl a choisi de pousser sa démarche éthique y compris avec ses créateurs puisque bien loin de vouloir créer une marketplace ou un dépôt vente pour les créateurs indépendants, il achète chaque pièce avant de les proposer en boutique et sur le site. Afin d’instaurer une relation pérenne avec ses fournisseurs en mode de qualité, il leur paraissait important de leur proposer un système de paiement qui leur donne de la visibilité sur leur activité, indépendamment des ventes réalisées par Labl.

Les marketplaces, quant à elles, obligent les créateurs à produire plus mais ne garantissent aucune vente. Avec ce mode de fonctionnement, Labl est contraint de faire une sélection des pièces en fonction de ce qui se vend facilement pour le rentabiliser au plus vite, mais contrairement aux marketplace, ils bénéficient d’un avantage concurrentiel car ils proposent des pièces exclusives et récupèrent des marges plus importantes.

Optimiser la rentabilité et se diversifier intelligemment

Si on échoue, on aura perdu plus qu’une marketplace mais si on réussit, on réussira mieux.

Désormais, comme pour toute entreprise qui va commencer à se développer, un travail de fond va être mis en oeuvre afin d’optimiser la rentabilité, notamment concernant le développement de sa marque propre : maîtrise de la production au Portugal, meilleure gestion de la production, complétude des gammes (pull, gilets, robes), etc.

Labl souhaite également impulser la partie B to B avec Labl Expérience, l’agence d’événementiel, qui propose la privatisation de la boutique et des missions d’accompagnement des créateurs pour leur communication et marketing. Pour la suite de l’aventure Labl, Marie et Anthony prévoient une à deux privatisations par mois.

A l’heure actuelle, le site et la boutique représentent chacun la moitié des revenus de Labl. Avec l’ajout des prestations de privatisation, ils estiment que l’événementiel pourra valoir 20% des rentrées d’argent, de quoi aider à payer les charges et à renforcer la trésorerie pour l’achat des prochaines collections, et donc à impulser le développement des autres projets Labl.

Garder un œil sur le marché et s’orienter stratégiquement

En cette période où beaucoup de créateurs d’entreprise et « startup » misent sur les levées de fonds pour faire décoller leur affaire, Labl choisit plutôt de se penser comme une TPE, avec la volonté de se développer en autofinancement.

Marie et Anthony ont fait le choix de  indépendants et de grandir de manière raisonnée : ouvrir une seconde échoppe quand les fonds le permettront, développer d’autres pays européens en fonction des opportunités… Le plus important, selon eux, pour prendre le marché, ce n’est pas d’investir sans compter, c’est de miser sur la qualité et la relation.

Pour l’année à venir, le gros projet reste le lancement de la marque propre Labl.

Développer plusieurs boutiques en France

A moyen terme, Marie et Anthony envisagent d’ouvrir plusieurs boutiques en France à Aix-en-Provence, Lyon et Lille car ces villes correspondent aux cibles et aux clientes online, très similaires à Bordeaux en terme de catégorie socioprofessionnelle. Développer le commerce vers la Belgique est également en réflexion car c’est le pays à qui Labl vend le plus après la France et les frais de ports sont les mêmes. Avant peu, la Belgique comptait le plus gros concurrent de Labl, Made & More, mais celui-ci a fermé faute de deuxième levée de fonds.

Leur développement restant très proche de celui souhaité par Marie et Anthony, le couple accorde un soin tout particulier à ne pas reproduire leurs erreurs, comme passer de distributeur à marque propre exclusivement ou sortir la marque femme et homme en même temps sans avoir les fonds propres suffisants. Si la finitude de ce concurrent peut sembler une opportunité, Anthony y voit plutôt là une difficulté supplémentaire car « s’il y a plus d’acteurs, il y a plus d’acheteurs pour démocratiser le concept et se positionner comme leader ». Pour emprunter un chemin moins risqué que son homologue belge, Labl veut y aller progressivement et éviter la prise de risques inconsidérés.

Quand on s’autofinance, il faut connaître les priorités, faire des choix.

Un projet de vie au service du bien commun

 Si Anthony déclare adorer son travail à Kedge, son objectif est de rejoindre Labl à 100% et de développer la partie agence (vidéos, photographies, community management et événementiel). Marie de son côté se dédie à la partie offline de l’entreprise. Elle a fait de Labl un vrai métier passion et espère pouvoir rapidement recruter une petite équipe pour gérer tous les projets.

Le concept est établi, les fondations sont posés. Maintenant il va falloir construire des étages solides les uns sur les autres.

Le rêve ultime de Marie pour Labl serait l’ouverture d’un Grand Lab des créateurs, pour prodiguer conseils de modélistes et de stylistes et un accompagnement à la production.

Anthony de son côté ambitionne de créer un atelier de confection pour permettre la réinsertion de personnes en sortie de prison, déscolarisées, enclavées, ou en retour à l’emploi. Un objectif peu rentable, dans une démarche globalement associative, mais chez LabL, donner du sens à la mode, c’est aussi donner du sens à la vie.

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