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« Mettre en place et encadrer le télétravail », Interview de Marine DUBOIS, Directrice Offres Juridique et Droit Social chez LegalPlace

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Depuis le début du confinement, le télétravail est une obligation. Les entreprises doivent donc s’adapter et faire le nécessaire pour mettre en place le télétravail correctement. Au-delà des contraintes organisationnelles évidentes, c’est tout un cadre juridique qui évolue. Aussi, Kanoon, cabinet d’avocat digitalisé impulsé par LegalPlace, a développé un outil de génération de charte de télétravail. Il permet donc aux entreprises d’obtenir gratuitement en ligne des documents sur-mesure et aboutis pour chaque client. BORDEAUX Business s’est entretenu avec Marine DUBOIS, confondatrice de Kanoon et avocate en droit du travail pour mieux comprendre l’impact juridique du télétravail sur les entreprises et les collaborateurs.

Comment Kanoon accompagne les entreprises pour la mise en place du télétravail ?

Avant toute chose, il faut comprendre que la règle juridique n’est pas la même pour maintenant que pour après. Pour étudier la question de la mise en place du télétravail dans l’entreprise, il faut donc bien distinguer le télétravail maintenant dans le cadre du confinement, et le télétravail qui pourrait être généralisé dans une situation plus normale, disons.

Quoi qu’il en soit, la mise en place du télétravail implique un certain nombre de considérations juridiques. Pour se faire, Kanoon a créé un outil qui permet de générer des chartes de télétravail de manière complètement individualisée. Les clients complètent un questionnaire pour pouvoir générer la charte qui s’adapte à leurs besoins. Elle est mise à disposition gratuitement pour permettre à chaque entreprise de s’équiper rapidement. C’est un outil assez didactique qui étudie la question dans sa globalité : quels outils, quelles modalités de télétravail ? Avec cela, on peut non seulement générer la charte mais aussi les avenants de contrat de travail.

De quelle façon les salariés ont-ils besoin d’être protégés ?

La nouvelle version du protocole national en entreprise du 22 octobre a déterminé le télétravail comme étant la règle pour toutes les missions pouvant être faites à distance. L’employeur peut donc l’imposer à ses salariés et peut même sanctionner un salarié qui revient travailler. La question est donc seulement de savoir si les fonctions peuvent s’effectuer à distance ou non. Cela doit être établie dans un logique de bonne fois, et éviter l’abus de droit. Je vous donne un exemple : tous les membres de l’équipe reviennent travailler sauf un, alors on peut estimer qu’il y a une inégalité de traitement. Au-delà de ça, à ce jour, le télétravail est la règle.

En revanche, de manière habituelle, hors confinement, le télétravail n’a pas de droit. D’où l’intérêt de formaliser ce mode de travail. On peut alors prévoir qu’en cas de circonstances exceptionnelles (comme le Covid), le télétravail devient la règle. Mais on encadre surtout les conditions du télétravail occasionnel et télétravail régulier.

Le télétravail occasionnel fait référence à des cas de figures variés comme une grève des transports ou encore une décision de l’employeur annoncée par échange de mail. Dans ce cas, le salarié peut refuser. La charte vient cadrer ce qui est occasionnel.

Pour le télétravail régulier, il s’agit d’encadrer quelque chose qui existait avant mais qui sera davantage présent encore après. Le télétravail régulier ne veut pas forcément dire à 100%. Par exemple, on note de plus en plus de demandes des salariés pour du home office entre 1 et 3 jours par semaine. L’employeur a donc besoin de pouvoir le cadrer dans la charte de télétravail et par un avenant au contrat de travail pour déterminer clairement le cadre. L’idéal est donc de faire une charte détaillée et de réduire l’avenant autant que possible pour qu’il ne fasse que se référer à la charte. Cela offre plus de flexibilité à l’entreprise car l’avenant ne peut être modifié qu’avec l’accord du salarié. La charte, elle, peut évoluer.

L’avenant est nécessaire en télétravail régulier seulement. C’est un très bonne pratique mais elle n’évite tout de même pas la rédaction de la charte. Il vient en complément pour formaliser le télétravail entre l’entreprise et le salarié.

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La charte de télétravail fixe les règles du télétravail régulier en entreprise. Un outil indispensable pour travailler dans de bonnes conditions.

Quels sont les écueils et les risques d’un télétravail sans cadre formalisé ?

Aujourd’hui, si on n’a pas indiqué au salarié dans le cadre d’un quelconque document, qu’il passe en télétravail, le risque est énorme car l’employeur peut être accusé de ne pas protéger la santé des salariés. Avec le Covid, la contamination du salarié constitue un très sérieux risque juridique. Dans ce contexte, le salarié peut faire valoir son droit de retrait du salarié car l’entreprise n’a pas mis en place de règle qui le protège. L’employeur fait donc face à un risque de sanction pénale s’il ne respecte pas son obligation de sécurité.

Au-delà de cet aspect, on retrouve également des enjeux organisationnels. Si on ne détermine pas quel salarié vient travailler ou pas, c’est le bazar ambiant. Quels jours vient qui ? Quel est le nombre maximum de personnes que l’espace de travail peut accueillir ?

On a donc clairement tout intérêt à encadrer le télétravail. Depuis les annonces Macron de 2017, un employeur ne peut pas refuser le télétravail à un salarié sauf en motivant la réponse. C’est une démarche chronophage et contraignante. De plus, elle pousse à traiter chaque demande de manière individuelle alors que ça pourrait être collectif. Il suffit pour cela d’avoir déjà déterminé quelles fonctions sont aptes à pouvoir travailler en télétravail dans la charte.

Cela permet aussi de mieux maîtriser le temps de travail. Rappelons qu’il y a une obligation en droit du travail de pouvoir contrôler le temps de travail du salarié. Il est payé sur une base horaire donc légalement il doit être payé plus s’il travaille plus. Les tribunaux, depuis des années, considèrent que si un salarié travaille plus, même de manière implicite, il est en droit de demander des heures supplémentaires. Plus encore, il peut remonter jusqu’aux 3 années précédentes. Le risque a toujours existé mais ils est plus facile à juger en présentiel pour l’employeur. La charte de télétravail a donc aussi pour but d’encadrer le temps de travail. Elle peut par exemple déterminer des temps de disponibilité ou les règles de flexibilité liée au télétravail. C’est rassurant aussi pour les managers. En complément, c’est l’occasion de créer des ressources d’interaction sociale avec ces moments dédiés.

En complément, le télétravail pousse à se poser de nouvelles questions. Est-ce que le temps horaire est une bonne façon de calculer le travail des salariés ? Avec la généralisation de l’autonomie dans la gestion de l’emploi du temps, on a de plus en plus de demandes pour des accords d’entreprise sur séjour. On change alors d’unité de mesure pour passer par exemple sur une base de jours travaillés. Cela implique bien entendu de changer le rapport de confiance dans l’entreprise. On entre dans une politique de résultat plutôt que de temps de travail.

La mise en place du télétravail doit-il donner lieu préalablement à la consultation du CSE ?

Cela dépend des CSE. Les attributions d’un Comité Social et Economique pour une entreprise de moins de 50 salariés diffèrent de celles d’un CSE d’une entreprise de plus de 50 salariés.

La consultation du CSE est nécessaire pour les entreprises de plus de 50 salariés. La direction doit alors présenter un projet au CSE. Ensuite, le CSE donne un avis justifié. Puis l’entreprise met en place la charte quelle souhaite. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, on a seulement une obligation d’information, pas de consultation. Généralement, on se contente juste d’une discussion en réunion avec le CSE mais sans formalisation particulière.

Quelles sont les modalités pratiques à prévoir au sein de la Charte de télétravail ?

Concrètement, la charte de télétravail peut être très complète. Mais on peut dégager quelques sujets majeurs à aborder. Les catégories de salariés visées, les horaires de disponibilité, l’usage professionnel des outils (pour des questions de sécurité informatique notamment), les temps de repos et de déconnexion. Ce dernier point notamment englobe des notions assez vastes. Le risque de perte de notion de temps privé/pro, l’obligation de santé qui impose de définir des temps de repos : 11h de repos entre deux journée de travail, obligation de repos le dimanche, temps de déconnexion… 

Le télétravail régulier peut être déterminé au moment de l’embauche. Auquel cas, le cadre est clair dès le départ. Mais en cours de relation de travail, la règle juridique est différente. On doit alors laisser une période d’adaptation réciproque. Cette période d’ ”essai” du télétravail doit être fixée dans la charte de télétravail. Au terme de la période d’adaptation, le salarié comme l’employeur peut revenir sur la décision.

Quels sont les droits et devoirs des télétravailleurs ?

Avant toute chose, déterminer quels salariés peuvent bénéficier du télétravail est propre à chaque entreprise. Légalement, tout salarié peut en bénéficier. Toutefois, la bonne pratique demande une réflexion sur les tâches qui peuvent être réalisées à domicile. Il y a des postes qui ne sont clairement pas compatibles avec le télétravail. C’est notamment le cas des salariés qui ont peu d’autonomie, des outils de travail encombrants, des problématiques de sécurité informatique…

Dans le cadre actuel de la crise, le salarié a l’obligation de respecter la décision de l’employeur. Il ne peut que s’y conformer. Ses obligations dans le cadre de ce télétravail sont fixées par l’employeur pour que la collaboration se passe le mieux possible. En réalité, cela marche de l’exacte même manière qu’en présentiel. L’employeur peut avoir le même degré d’exigence, mais le salarié doit pouvoir se reposer, déconnecter.

L’employeur doit-il indemniser le salarié ?

Là dessus, on a assisté à une évolution juridique ces dernières années donc c’est une très bonne question. Avant, un accord interprofessionnel rendait obligatoire l’indemnisation du télétravail. Désormais, depuis les annonces Macrons, l’employeur n’a plus d’obligation légale de compenser le télétravail. Toutefois, quelques jurisprudences vont dans le sens contraire pour les salariés qui ont des charges dues au télétravail. L’employeur doit donc quand même prendre à sa charge tous les coûts de découlent du télétravail, le remboursement des frais réels justifiés par le salarié.

De plus, on a la question de l’indemnisation complémentaire pour l’électricité, le chauffage, voire même un prorata du loyer. Sur ce point, il n’y a pas d’obligation légale mais l’employeur peut le faire sur une base forfaitaire ou sur frais réels. Sur une base forfaitaire, il bénéficie alors d’une exonération de charge sociale à hauteur de 10€ mensuels pour un jour de télétravail par semaine. C’est une invitation à l’employeur à pouvoir compenser par une indemnité supplémentaire le télétravail.

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