Le Code du Commerce propose de nombreuses subtilités. Parmi ces dernières, il y en a une qui empêche de bien dormir des hôteliers, locataires de leurs locaux. Il s’agit de la notion de local monovalent.
De quoi parle-t-on ?
La monovalence d’un bien immobilier est une notion de droit commercial. Les locaux “monovalents” sont des locaux construits en vue d’une seule utilisation selon l’article R. 145-10 du Code de Commerce. À cette règle s’ajoute un autre critère. Il consiste dans l’importance et le coût élevé des travaux de transformation des lieux. Des travaux qui sont nécessaires à l’exercice d’autres activités.
On considère donc comme monovalents les cinémas, les hôpitaux ou les hôtels. Ces locaux sont aménagés en conséquence. Le matériel installé est spécialement prévu à l’usage unique des locaux. Mais la monovalente est également en vigueur pour les locaux ayant subi des travaux de transformation et d’aménagement affectant le bien à un nouvel usage unique.
Enfin pour rappel, l’immobilier commercial n’est pas de l’immobilier résidentiel… Ainsi si le prix du m2 s’envole dans votre ville, celui de votre commerce ne doit pas suivre cette tendance.

Maintenant que les choses sont claires, quelles sont les incidences sur les baux et les loyers de ces fameux locaux monovalents ?
Le local monovalent exclut de facto l’application de la règle du plafonnement du loyer en cas de renouvellement du bail. Cet état de fait à donc une incidence considérable. Elle porte aussi bien sur la valorisation locative du bien, que sur sa valeur vénale. Et c’est là que ça coince…
Prenons un exemple concret pour illustrer notre propos :
Imaginons un hôtel de centre-ville à Paris, Lyon ou encore Bordeaux. Ce dernier se situe dans un immeuble construit au 18ème ou 19ème siècle. Par ailleurs, il en existe des milliers dans ces cités historiques. L’exploitant, locataire (le « preneur ») de ces murs, décide d’entreprendre des travaux importants. Ils peuvent être de réhabilitation, d’amélioration, de mise aux normes ou tout simplement d’embellissement. Ces travaux sont également à ses frais, en ayant obtenu au préalable l’autorisation du propriétaire (le « bailleur »).
Plus concrètement ces travaux peuvent être un ravalement de façade, l’installation d’un ascenseur, de la climatisation, la modernisation de l’électricité, la mise aux normes incendie et d’accessibilité.
Bref, ce sont des investissements pour améliorer son « outil de travail ». Il s’agit d’une des règles de base de tout entrepreneur soucieux de pérenniser son activité. C’est particulièrement le cas dans l’hôtellerie…
Arrivé à l’échéance de son bail, l’hôtelier demande le renouvellement de ce dernier à son propriétaire. Pour cela, il respecte bien sûr les délais et la procédure en vigueur.
Jusque là tout va bien…
Le propriétaire accepte le principe du renouvellement du bail. Cependant, il en profite également pour demander au locataire d’accepter une augmentation du loyer. On peut considérer cela comme normal au regard de l’augmentation et de l’indexation des loyers commerciaux ou non. Mais le régime spécial et autonome des locaux monovalents peut rapidement devenir une jungle sans merci. En effet, le propriétaire est en droit de demander une augmentation excessive. Elle ne connaît pas de contrainte, de plafond et peut laisser libre cours à sa folie spéculative. Et par conséquent elle peut parfois atteindre des proportions démesurées !
Ainsi notre hôtelier de centre-ville, dans son bel immeuble en pierre de taille, rénové et amélioré à grands coups de centaines de milliers d’euros, se voit « proposer » par son propriétaire de multiplier son loyer par 3, 4 voire 5…!
Vous payez 2 000€/mois aujourd’hui…? Et bien désormais vous paierez 6 000€/mois…!
Cela semble aberrant, irrationnel voire anachronique. Cela l’est encore plus au regard des récentes dispositions prises. Ces dernières concernent le plafonnement et l’indexation des loyers commerciaux. Qui vise à réguler et permettre aux commerçants de pérenniser leur activité tout en protégeant leur trésorerie. Des trésoreries mises à mal ces dernières années de crise.
Aberrant et irrationnel oui, mais pourtant une situation bien concrète pour de nombreux hôteliers
Certes il existe des méthodes de calcul pour déterminer la valeur locative d’un local monovalent. Elles reposent généralement sur les usages dans la branche d’activité.
En résumé, la valeur locative d’un bien monovalent de type hôtel repose sur une méthode qui applique un pourcentage aux recettes hors taxes. Ce pourcentage est en lien avec la classification du bien et son niveau de confort.
D’accord, mais pourquoi cette exception ? Pourquoi les locaux monovalents échappent-ils à la réglementation sur le plafonnement des loyers des baux commerciaux ? Pourquoi les règles encadrant l’indexation des loyers commerciaux ne s’appliquent-elles pas aux locaux commerciaux monovalents ?
Réponse : c’est comme ça et puis c’est tout !
Et bien non ! On ne peut pas continuer à fermer les yeux sur ce régime spécial. Cela laisse libre cours aux envies spéculatives des propriétaires-bailleurs. Et ainsi certains voient une opportunité de gagner de l’argent facilement, sans investir. Ils oublient sciemment les conséquences sur la santé financière du professionnel qui occupe leurs locaux.
Pour l’hôtelier en local monovalent, c’est souvent la TRIPLE PEINE…
Il finance seul :
• des travaux qui vont améliorer son outil de travail mais qui vont également valoriser le bâtiment qui ne lui appartient pas.
• l’ensemble des équipements (ascenseur, climatisation, etc…) resteront la propriété du bailleur à la fin du bail.
Ces travaux vont permettre à l’hôtelier d’améliorer ses résultats en proposant plus de services et de confort. Il vont aussi lui permettre de changer de classement hôtelier. Enfin ils vont naturellement permettre d’accroître le chiffre d’affaires. En parallèle, le propriétaire arrive en réclamant une augmentation du loyer qui se base sur ce chiffre d’affaires croissant.
Mais qu’a-t-il fait ce propriétaire ? Pourquoi se permettre de venir réclamer son soit-disant dû sur la base du travail et des investissements d’un professionnel ? Quelle légitimité a-t-il pour justifier de multiplier le loyer par 3 ou 4 ? Est-ce un prétexte de dire que son locataire est un bon hôtelier et un bon gestionnaire et que son affaire prospère ? Comment a-t-il contribué à l’amélioration des résultats de l’hôtelier ?
Il n’existe aucune justification rationnelle qui justifie de tels débordements. Tout repose sur une jurisprudence qui est quasi-systématiquement en faveur du bailleur.
Trouver des moyens de protéger les hôteliers du local monovalent
A l’heure actuelle, en 2022, là où tout le monde (ou presque) s’accorde pour dire qu’il est urgent de protéger nos entreprises. C’est particulièrement le cas des TPE/PME qui constituent la très grande majorité des hôtels indépendants. Il est urgent de protéger les emplois de ces entreprises. Dans le même cas, il est urgent de leur donner les moyens d’embaucher plus.
Dans un contexte de crise économique et sociale majeure, les initiatives se multiplient pour préserver et protéger ceux qui travaillent. Elles protègent ceux qui investissent pour créer de la richesse. Cependant, il persiste quelques « jungles » où la loi du plus fort règne encore. Cette logique vient satisfaire le besoin de s’enrichir de quelques-uns.
Cette notion de local monovalent peut prévaloir pour un bâtiment sorti de terre et construit dès l’origine pour une seule utilisation. En revanche, elle n’a aucun sens pour tous ces commerces. Oui, un hôtel est un commerce comme les autres. Par ailleurs, les commerces se trouvent dans des locaux dont personne ne peut prouver que la construction d’origine avait pour but d’accueillir telle ou telle activité.
Il est urgent que nos législateurs se saisissent de ce qui peut apparaître comme anecdotique pour beaucoup. Pourtant c’est une situation qui peut devenir dramatique et définitive pour beaucoup de professionnels de l’hôtellerie.
Président du Club Hôtelier Bordeaux Métropole
Président Délégué à l’Hôtellerie UMIH33