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« L’expérience collaborateur en temps de confinement », interview de Frédéric Balletti, KPAM

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Le confinement, puis le reconfinement, ont profondément bousculé l’expérience collaborateur, et le rapport des salariés au travail. Pour comprendre l’ampleur de l’impact de la crise sanitaire sur les conditions de travail, KPAM publie « Travailler après. Chapitre Un. ». L’étude met notamment en exergue que cette période n’est pas une parenthèse hors de la normalité, mais bien le début d’une nouvelle approche du travail, avec de nouvelles attitudes et demandes. En ce sens, elle fait ressortir le besoin pour les entreprises de faire évoluer leurs pratiques organisationnelles et managériales. A cette occasion, BORDEAUX Business s’est entretenu avec Frédéric Balletti, Directeur KPAM-RH Expérience Collaborateur.

Comment le premier confinement a-t-il été vécu par les salariés ? Comment a-t-il impacté l’expérience collaborateur ?

Le premier point, c’est que l’expérience collaborateur est très nuancée car les mêmes moments peuvent être vécus différemment selon les gens. C’était nuancé en fonction de plusieurs critères. Le premier était la maturité de l’entreprise vis-à-vis du télétravail. Certaines étaient déjà avancées et avaient déjà intégré le télétravail depuis plus de dix ans. Cela impliquait que les salariés soient correctement équipés en home office : siège ergonomique, connexion, matériel adéquat. Et de l’autre les entreprises moins avancées pour qui c’était plus compliqué. A titre d’exemple, on a eu des témoignages de gens qui ont dû aller chercher leur unité centrale au bureau pour la ramener à la maison. Dans l’étude, on arrive à mettre des scores sur ce que les gens disent, sur ce qu’il leur importe ou pas. Sur ce sujet, on a eu de très grands écarts de score d’expérience : de -20 à +9.

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Les outils de communication et les nouvelles technologies permettent une mise en place du télétravail plus fluide et flexible.

Un deuxième point très important, on va beaucoup en parler, c’est la qualité de la relation avec les managers. On retrouve d’un côté les managers misant sur la confiance et l’autonomie qui ont pu reproduire le fonctionnement en télétravail. C’était également des managers qui se tenaient à disposition. De l’autre côté, on a le management par le contrôle qui a été renforcé. J’ai eu des témoignages de salariés qui recevaient un SMS dès qu’ils quittaient leur poste de travail ne serait-ce que pour aller aux toilettes. A contrario heureusement, d’autres se sont rendu compte que les équipes savaient très bien se débrouiller et ont fait évoluer leur méthode de management en temps réel.

C’est un mode de travail nouveau. Il y a forcément des habitudes à prendre sur comment on l’organise, comment on lance un projet à distance, comment on s’organise à la maison. Ceux qui étaient moins habitués au télétravail ont eu un souci notamment avec la déconnexion, avec le temps de travail, pour mettre fin à la journée. En télétravail, on n’a plus de sas, le lieu de travail devient le lieu de vie.

On a aussi les questions de l’espace de travail et de confort. En lien aussi avec la situation familiale et les enfants à la maison. Un salarié était en même temps parent, prof, cuisinier, agent de ménage… On a vu certaines entreprises où c’était pris en compte et d’autres où pas du tout, ce qui devenait source de stress.

Outre ces considérations, le télétravail a été vécu très bien par les salariés notamment dans les grandes villes parce qu’il leur aura permis de gagner le temps de transport pour faire autre chose de leur temps. Ils ont perçu cela comme une libération du temps et du stress.

Il y a encore un autre sujet, et c’est bien entendu le lien social. Est-ce que les entreprises ont réussi à le maintenir ? On a beaucoup parlé de voir les gens en visioconférence. Côté dirigeant, le confinement a aussi été l’occasion de certaines prises de conscience. Je vais donner l’exemple d’un call center où les dirigeants se sont retrouvé à passer toute la journée avec un casque et ont réalisé l’importance d’avoir le bon matériel, confortable et fiable, pour faire bien son travail.

Cela renvoie aussi à la question de est-ce que les outils de travail proposés sont adaptés ou pas au télétravail. Les outils modernes ont permis de bien vivre le télétravail. Toutefois, on a vu la tendance des salariés à utiliser les outils du marché. Ceci a tendance à rendre fou les directions de sécurité car pas de contrôle des flux. Mais ces technologies sont aussi beaucoup plus fluides que les vieux outils.

Cette étude KPAM a donc révélé une expérience collaborateur nuancée en fonction de pleins de facteurs. La question pour les entreprises maintenant, c’est comment prendre en compte la singularité de l’expérience pour offrir le meilleure cadre de travail à ses salariés.

Quelles attentes, nouvelles et durables, la gestion de la crise a-t-elle révélé ?

Sur les attentes, comme c’est arrivé de manière brutale, on a assisté avec surprise au changement de la hiérarchie des besoins. Désormais, la base, c’est la sécurité. Est-ce que je vais garder mon travail ? Est-ce que je vais rester en bonne santé ? En parallèle, cela a exacerbé la montée du besoin de sens. Les gens en ont toujours parlé mais de façon plate (RSE, écologie, société…). Ce n’était pas un discours très intense jusqu’au confinement. Pendant le premier, on a atteint des niveaux d’intensité de discours jamais atteint avant. En quoi mon métier est utile ? L’entreprise a-t-elle un intérêt pour la société ?

En quelque sorte, c’était un moment de vérité pour les entreprises. On parle de raison d’être à tout va. On parle du “why” partout. Les entreprises sont devenues des entreprises à mission. Le covid arrive au moment où les entreprises ont fait de belles communication autour de leur raison d’être. Le covid a été le parfait cas type pour observer la congruence, cohérence entre le sujet et le discours. Certaines entreprises restent alignées, certaines sont à côté. C’est un sujet majeur pour les salariés. Ainsi, de nouveaux questionnements occupent de plus en plus de place. Est-ce que j’ai envie d’être dans une entreprise qui ne me protège pas en cas de difficulté ? Je prends le pari qu’on va assister à une migration des compétences et des salariés vers les entreprises qui ont participé à l’effort collectif.

Le deuxième sujet dégagé renvoie à la singularité de l’expérience collaborateur. La capacité de l’entreprise de prendre en compte qu’on est tous uniques, qu’on a des besoins différents. Est-ce que l’entreperise peut prendre en compte que je suis parent célibataire ? Est-ce qu’elle prend en compte que je suis salarié aidant et que je m’occupe de mon parent malade au quotidien ? J’ai travaillé sur ce sujet il y a 4 ans. On avait alors révélé qu’un  salarié sur 6 était aidant mais n’en parlait pas. Aménagement du temps de travail, numéro vert… Il a des possibilités pour les accompagner. C’est tout aussi complexe que de s’occuper de ses enfants.

Dans la prise en compte de la singularité, il y a aussi le confort à la maison et la qualité de travail. Dans les grandes villes notamment, on a un large panel de salariés qui vivent dans un studio. C’est donc pour les entreprises l’occasion d’étudier la question des tiers lieux. Certaines y sont d’ores et déjà passées pour proposer des lieux plus proches des gens pour ceux qui n’ont pas la capacité de télétravailler.

Enfin, le troisième sujet qui ressort, et pas des moindre, c’est la question de la fluidité pour la qualité de l’expérience collaborateur. Pour cela, les entreprises se doivent d’investir sur les technologies et les outils. Bien entendu, au cœur du sujet on a la sécurité informatique et les données. Mais les équipes attendent d’avoir des outils faciles à prendre en main, fiables, avec un service support qui fonctionne aussi.

D’une manière générale, cette période pousse à repenser toute l’orientation collaborateur. Refonte des espaces de travail, organisation, outils de travail… Pour cela, il faut intégrer le salarié dans la réflexion. C’est ce qu’on fait quand on fait de l’UX (user experience ou expérience utilisateur). C’est alors qu’intervient la culture d’entreprise. Les dirigeants ont besoin de se demander si ce qu’ils vont mettre en place est en adéquation avec la culture d’entreprise, avec la manière de fonctionner en interne. On revient aussi la question du sens et de l’éthique, de la congruence.

En soit, tout cela impacte directement la marque employeur. On sait justement que le manque de cohérence entre le discours et la réalité est l’une des raison principale des pertes de recrues avant 3 mois. Le travail sur l’expérience collaborateur commence dès cette étape. Cela interroge aussi le postulat qui affiche le manque de loyauté des nouvelles générations. Et si c’était plutôt le mensonge sur le produit le souci ?

Comment le télétravail vécu pendant la crise renseigne sur l’organisation du travail de demain ?

La souplesse du travail est devenue non-négociable maintenant. Beaucoup de salariés sont en train de faire un mixte entre le télétravail et le travail sur site. Le sujet central reste la sociabilité. Suite au premier confinement, certaines organisations sont passées en 100 % télétravail. Elles sont actuellement en test sur ce nouveau schéma.

Avec le télétravail sont venues d’autres considérations, comme la souplesse d’organiser sa journée comme on le souhaite. Cela a pris de court les DRH et les managers. “Le travail va être fait mais je m’organise comme je veux sur les 24h qui composent la journée”. Cette souplesse d’agenda permet de prendre du temps pour autre chose. Le salarié peut désormais injecter des moments personnels dans le quotidien tout en pouvant faire son travail.

Forcément, pour que cela fonctionne, on a besoin de confiance dans l’entreprise et d’autonomie. Cela implique de réorganiser les entreprises, donner les moyens aux salariés de devenir autonomes. C’est énormément de travail. Il va falloir aller sur des objectifs d’accomplissement de l’activité plutôt que sur des objectifs de présence. Opposer le présentéisme français à l’efficacité. C’est un gros sujet car c’est un sujet culturel.

L’équilibre travail au bureau / télétravail implique aussi de revoir sa gestion des tâches. Quelle activité je fais à la maison et quelle activité je fais au travail ? A la maison, on peut partir sur des missions nécessitant de la concentration. Je n’ai plus le boucan de l’open space. D’un autre côté, c’est plus compliqué de lancer de nouveaux projets à distance. Il y a encore beaucoup d’organisations qui ont besoin de se voir pour lancer des projets. Dans ce cas, autant venir au bureau. Par contre, si c’est pour des réunions, on peut le faire de chez soi.

Tout cela fait écho au sujet de l’organisation des espaces de travail de demain. Que dois-je faire pour donner envie aux gens de venir sur les lieux de travail ? Lien social, lancement de projet, moments conviviaux… Comment différencier le présentiel et le distanciel ? Souvent, les discours spontanés des managers nous disent qu’ils ne savent pas manager à distance. C’est normal, ça ne s’improvise pas. Je pense que rapidement, la formation sur l’animation d’équipe à distance va devenir obligatoire. De même, il va falloir former les salariés à travailler à distance. Il ne faut surtout pas oublier qu’il faut accompagner les gens dans ces nouvelles organisations. Ne serait-ce que pour leur permettre de trouver un équilibre vie professionnelle / vie personnelle.

En parallèle, d’autres questions se posent, comme le choix du lieu de vie. Est-ce qu’on est obligé de travailler proche du lieu de travail ou est-ce qu’on peut vivre à plusieurs centaines de kilomètres et revenir au travail une fois par mois ?

L’approche des entreprises pour ce second confinement a-t-il évolué ? Les enseignements du premier semblent-ils avoir été pris en compte pour améliorer l’expérience collaborateur ? Quel impact ce nouveau confinement risque d’avoir sur les équipes ?

Ce confinement est très différent du premier. D’abord, pour le second, les gens vont au travail. Certaines entreprises ont imposé le télétravail le cœur serré. On a même des cas où des salariés se donnent rendez-vous chez eux pour garder le contact physique. Il y a un véritable développement du “télétravail clandestin”. En fait, le sujet du confinement rentre en conflit avec la culture française de se voir. Ces nouveautés sont le résultat du traumatisme du premier confinement. On a même certaines entreprises qui s’opposent fermement au télétravail.

J’étais avec des dirigeants lors d’une réunion à distance. Ils me disaient que le lendemain de l’annonce du confinement 30 % des salariés ont demandé une dérogation pour venir au bureau. C’est réellement un sujet important à entendre. On a besoin de voir des gens et d’avoir un espace de travail adapté.

Autre différence avec le premier confinement : les enfants sont à l’école donc c’est plus facile de télétravailler.

Maintenant, est-ce qu’ils ont pris en compte les leçons du premier… C’est encore très nuancé. Nous aurions besoin d’une nouvelle étude pour avoir un retour d’expérience collaborateur de ce nouveau chapitre.

En tout cas, l’impact pour les équipes diffère dans les grandes entreprises et dans les petites. Pour les TPE-PME, c’est souvent très douloureux. Les équipes sont dans l’angoisse de savoir s’ils vont garder leur poste ou pas. Dans les grandes entreprises, l’enjeu dépend des priorités de l’entreprise. D’un côté, certaines cherchent avant tout à protéger leurs salariés, de l’autre il y a celles qui réduisent leurs effectifs. Je pense sincèrement que d’ici peu, on saura quelles entreprises ont joué le jeu et lesquelles ne l’ont pas fait. On “risque” de voir apparaître des matrices des entreprises où il ne faut pas aller.

On se souvient toujours des gens qui ont été là et de ceux qui nous ont tourné le dos.

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