Le choix du statut juridique d’une entreprise est une problématique centrale lors de la création d’entreprise. En fonction de l’activité prévue et de la situation personnelle du dirigeant, certains statuts sont plus adaptés que d’autres. De la forme juridique d’une entreprise dépend notamment le régime social du dirigeant, le mode d’imposition de l’entreprise, la responsabilité du dirigeant et de ses associés…
Aussi, il est important d’anticiper les évolutions de l’entreprise pour éviter les désagréments d’avoir à changer de statut juridique. Pour en savoir plus sur les questions qui se posent lorsque l’on crée une entreprise, BORDEAUX Business s’est entretenu avec Mehdi OUCHALLAL, fondateur et directeur général de LegalPlace.
Quel est le point de départ, les premières questions à se poser pour créer une entreprise ?
La première question que se pose un entrepreneur, c’est “est-ce que je pars sur une entreprise individuelle, une micro-entreprise (anciennement auto-entreprise), ou sur la création d’une société. Quand on crée une société, on crée une personne morale, alors qu’en microentreprise, c’est l’entrepreneur (anciennement auto-entrepreneur) qui exerce en tant que personne physique. À partir de là, les implications sont complètement différentes. Le choix se fait donc selon la situation propre à l’entrepreneur et le business qu’il va lancer.
Pour débuter sa réflexion, il doit déjà avoir des informations précises sur les contours de l’activité économique de la future entreprise. Pour cela, il est important de faire un business plan. On cherche notamment à savoir combien son activité va générer de revenu. C’est le point principal. Il sera également utile de savoir qui seront ses clients.
Aussi, si l’activité de l’entreprise à créer est plutôt complémentaire d’une activité principale, l’entrepreneur cherchera souvent une structure légère telle que la micro-entreprise, suffisante pour un complément de revenu. Pour un projet plus vaste, plus ambitieux, il aura sans doute plus intérêt à créer une société.
Dans quelle situation le statut juridique de la micro-entreprise est-il adaptée ? Quels sont ses avantages et inconvénients ?
La micro-entreprise est la plus légère. L’entrepreneur ne tiendra qu’une comptabilité simplifiée. Donc au quotidien, c’est beaucoup moins laborieux. Côté création de l’entreprise, les démarches sont simples : pas de statuts à rédiger, pas de documentation. On fait une simple déclaration et l’obtention du SIRET est rapide, facile et gratuite. Globalement, le fonctionnement est allégé. Il y a aussi des avantages fiscaux puisque les régimes fiscal et social sont simplifiés. Les prélèvements correspondent à environ un quart des revenus. En complément, il n’y a pas de TVA. C’est un avantage pour les clients particuliers notamment puisqu’ils payent la TVA sur le produit. La contrepartie est que l’entrepreneur ne peut pas récupérer la TVA sur ses achats.

Il a quand même des contraintes avec le statut juridique de micro-entrepreneur. À commencer par la limite de chiffre d’affaires qui s’élève à environ 72 000 € pour une activité de services. Si dépassement, l’entrepreneur passe sur le régime fiscal normal, ce qui n’est plus aussi facile à gérer. D’où l’importance de connaître son prévisionnel avant de créer son entreprise.
Se pose aussi la question de s’il veut protéger son patrimoine en tant qu’entrepreneur. Notamment, s’il possède des biens immobiliers, des actions… Quand on est en micro-entreprise, le patrimoine n’est pas protégé. Donc si l’entreprise contracte des dettes et ne peut pas payer ses échéances, on peut saisir son patrimoine personnel.
Et dans quelle situation une société est-elle requise ?
Dans le cadre d’une activité plus ambitieuse, il faudra alors créer une société. Il faut déjà savoir si l’entrepreneur crée l’entreprise seul car, dans le cas contraire, ça permet d’éliminer certains statuts juridiques telle que la micro-entreprise. Il y a beaucoup d’avantages à créer une société, car on crée une personne morale. À ce titre, elle a son propre patrimoine. En complément, si besoin, on peut y faire rentrer des associés via l’émission d’actions ou parts sociales, la vente d’actions ou parts sociales… On n’a également plus le souci de la limite de CA. La société peut également lever des fonds.
Autre avantage, une société pour bénéficier de la déduction de charges du résultat imposable. Aussi, si elle fait des investissements, même si elle a gagné de l’argent mais qu’elle a beaucoup de charges, elle peut réduire son imposition voire apparaître déficitaire et ne pas payer du tout d’impôts. Contrairement à la micro-entreprise, qui paye quoi qu’il arrive environ 25 % de son chiffre d’affaires.
En revanche, une personne morale est plus lourde à créer et à gérer. La création d’entreprise est plus longue et complexe. Il y a des statuts à rédiger, qui déterminent la structure de la société ; il faut prévoir l’éventuelle possibilité d’entrée d’un associé ; on a besoin d’ouvrir un compte bancaire pour créer la société avec dépôt de capital ; il faut faire les formalités d’immatriculation auprès du centre de formalités des entreprises ; penser à publier l’annonce légale. Côté comptabilité, il passe sur une comptabilité complète avec établissement de comptes annuels, etc.
Est-ce qu’il est possible et facile de basculer du statut juridique de micro-entreprise à une autre forme de société ?
La question se pose souvent lorsque le micro-entrepreneur se retrouve à dépasser le seuil de chiffre d’affaires et qu’il ne veut plus rester en entreprise individuelle. Dans ce cas, il devient nécessaire de basculer en société. Mais le changement de statut juridique est compliqué d’un point de vue réglementaire. Si on se concentre sur la règle juridique : on portait la société sur son propre patrimoine et finalement, on crée une société qui va absorber cela. On transfère le fonds de commerce de soi-même à la société. Ces changements sont soumis à un formalisme lourd et à des charges.
Dans les faits, beaucoup d’entrepreneurs prennent un chemin moins rigoureux. Ils mettent fin à l’activité auto-entrepreneur et passent à la création d’une nouvelle structure. Sauf que cela peut être requalifié par l’administration fiscale de transfert de fonds de commerce déguisé. Et donc, mener à un redressement fiscal.
Est-ce que certains statuts juridiques s’imposent en fonction de la nature de l’activité ?
On peut faire quasiment toutes les activités sous les différents statuts juridiques. Par contre, il y a certaines activités qu’on ne peut pas faire en micro-entreprises. C’est notamment le cas de certaines activités réglementées comme les avocats, les experts-comptables, les activités relevant des bénéfices agricoles… En revanche, en fonction des professions réglementées, l’entrepreneur aura besoin de produire certaines pièces pour être immatriculé (tels que des diplômes requis par exemple pour être coiffeur). En cela, qu’il choisisse la micro-entreprise ou la société.
Que faire si le conjoint à vocation à participer de manière régulière à l’activité de l’entreprise ?
Si le conjoint participe activement, il doit être reconnu en tant que tel. Ceci n’est pas possible sous la micro-entreprise puisque par définition, on est forcément seul. Dans ce cas, il faut partir immédiatement sur une forme de société où les conjoints seront co-entrepreneurs. On peut choisir la SARL par exemple, qui est à peu de choses près une EURL avec plus d’un associé, ou une SAS. Le conjoint peut ainsi avoir du capital et toute sa place, et être protégé à ce titre. On lui donne une fonction bien précise et reconnue par la loi.
Y’a-t-il des dispositions particulières à prendre si un montage spécifique est prévu ?
Dès qu’on part sur du montage, il faut clairement opter pour la société. Je vous donne l’exemple d’une holding familiale. Dans ce cadre, on utilise ses fonds pour créer la société et faire que le patrimoine reste dans la holding familiale… La société a été conçue pour pouvoir faire des montages d’optimisation patrimoniale.
C’est aussi particulièrement adapté dans le contexte de la transmission. Par exemple, quand on est proche de la retraite. La propriété de la société est traduite dans les parts sociales et on peut transmettre ses dernières graduellement à ses héritiers. Ceci ne peut d’ailleurs être fait qu’à travers une société.
Autre exemple, le cas des filiales d’une entreprise. On a des activités qui s’étendent sur plusieurs secteurs d’activités ou plusieurs secteurs géographiques. On crée une entité par secteur, mais on garde la holding au-dessus pour les rassembler et optimiser la fiscalité de l’ensemble.
Quel est l’impact du choix de la forme juridique sur le statut social du dirigeant ?
Ces dernières années, on a assisté à une harmonisation donc il y a assez peu de différences notables désormais. Quand on est en micro-entreprise, on est assujetti au régime des travailleurs non-salariés (TNS), pas sous le régime général sécurité sociale.
En SAS, l’entrepreneur président est sous un régime social assimilé salariés. C’est le seul statut juridique qui lui permet de bénéficier du régime général de la sécurité sociale. L’impact est important notamment au niveau des offres des mutuelles. On constate que les offres sont souvent plus intéressantes en rapport qualité prix quand on est sous le régime général de la sécurité sociale.
Quel est l’impact du choix sur le régime fiscal du créateur ?
Quand on est sous le statut personnel de l’auto-entreprise, tout l’argent gagné va directement dans son patrimoine. Le régime fiscal de la micro-entreprise et celui de l’entrepreneur sont confondus et on est systématiquement imposé sur les rentrées d’argent.
En société, on peut ne pas se verser de revenu. C’est la société qui gagne de l’argent. On peut faire passer des investissements, des charges et avoir une activité déficitaire. Dans ce contexte, il est possible de ne pas payer d’impôts, mais aussi de ne pas se verser de revenus. Aussi, dans certains cas, le créateur d’entreprise peut continuer à percevoir le chômage.
Côté fiscalité de l’entité, l’entreprise est soumise à l’impôt sur les sociétés : 28 à 31% des bénéfices (hors taux réduits en dessous de certains seuils). Pour toutes les questions fiscales, il est compliqué de donner une règle générale. On rentre dans les particularités et les considérations d’optimisation fiscale.
Quoi qu’il en soit, le meilleur conseil qu’on puisse donner à un créateur d’entreprise, c’est d’en discuter avec un professionnel, souvent un expert-comptable. Il est primordial de bien choisir le régime le plus adapté à la fois à son projet professionnel et à sa situation personnelle.
Sources :
(1) Le régime des micro-entreprises, Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance