La création d’entreprise traverse la vie d’un grand nombre de personnes à tout âge. Si les entrepreneurs les plus connus sont souvent des quinquagénaires, force est de constater que l’âge moyen d’un créateur d’entreprise individuelle est de 36 ans. Toutefois, l’âme d’entrepreneur de certains s’expriment très tôt. Si bien qu’ils sont 38% à créer leur entreprise avant même d’avoir 30 ans. Entre expérience, rencontres et instinct, la démarche entrepreneuriale laisse souvent rêveur. BORDEAUX Business s’est entretenu avec Laurent VILLA. Aujourd’hui restaurateur accompli à la tête du Group Clav, il a fondé sa première société lorsqu’il n’avait que 20 ans en 1991.

Laurent VILLA, serial entrepreneur depuis 30 ans
Je vais avoir 50 ans en avril, ce qui fait que j’ai créé mon premier business il y a 30 ans. Il s’agissait de Mediaparc Affichage. Un projet que j’avais lancé avec l’idée précise de faire de la publicité dans les parkings automobile. Rapidement, on est devenu leader du marché, puis j’ai revendu le groupe à Clear Channel.
Entre temps, j’ai racheté Boomerang Voyage en 1999. Je l’ai fait grandir puis je l’ai revendu à LastMinute.com en 2002. Ensuite j’ai entrepris dans le secteur des jeux et de la presse enfant avec PlayFactory.
Et en 2002, j’ai ouvert mon premier restaurant en centre-ville à Cannes, le « Spirit of food ». Ensuite, il y a eu d’autres, ainsi que de nouvelles idées pour développer le Groupe CLAV et ses activités.
Pourquoi et comment créer son entreprise avant ses 30 ans ?
Déjà à l’âge de 16 ans, j’ai créé une association. A ce moment-là, c’était surtout pour organiser des soirées étudiantes. Mais j’avais déjà ça dans le sang. Quand vous avez envie de faire quelque chose, vous foncez, vous réfléchissez après. En tout cas, c’est comme ça que je fonctionne. A 18 ans, j’ai créé ma première société en SARL. Pour financer mes projets, j’ai commencé à prendre contact avec des banques.
Pour moi, la clé du succès de la création d’entreprise, c’est avant tout une question d’ADN. On naît entrepreneur, plus qu’on apprend à le devenir. C’est un métier de résilience, d’engagement. On prend des coups en permanence mais il faut que les problèmes deviennent des solutions. C’est quand on parvient à faire ça, qu’on devient un entrepreneur.
J’ai fait mes études en même temps que ma première entreprise. J’ai obtenu un diplôme d’ingénierie financière à l’IUP de Sophia-Antipolis. C’était surtout pour structurer ma vision comptable et financière. Mais quand on entreprend, on a besoin d’être généraliste. Comptabilité, marketing, commercial, RH… Il faut pouvoir toucher à tout pour avoir une vue d’ensemble aussi claire que possible.

J’ai décroché mon premier fonds d’investissement en 1994 pour aider le développement commercial et industriel de Mediaparc Affichage. Il faut bien comprendre que même sans capitaux, on peut faire réussir son entreprise. Cela implique de bien construire son projet, de savoir où trouver de bons conseils, de cadrer son business plan, et de savoir aller vendre son produit à travers sa passion et ses convictions.
Ceci dit, c’est vrai qu’il y a 30 ans, la création d’entreprise était plus simple. Les banques étaient plus en phase avec les PME. Aujourd’hui, c’est extrêmement compliqué. Avant, faire appel aux banques relevait du postulat de base. Aujourd’hui, le banquier arrive en troisième rang. Avant d’y arriver, on se tourne vers des entrepreneurs, investisseurs, actionnaires.
Est-ce qu’il vaut mieux créer son entreprise seul ou avec un/des associé(s) ?
Il existe beaucoup de possibilités pour s’associer en entreprenant. Après 30 ans d’expérience, j’ai effectué un peu tous les types. Majoritaire, minoritaire, avec fonds d’investissements, associé à part égal… En réalité, ça dépend de ce que l’on est, du type d’entreprise, et de sa capacité à absorber les chocs et la pression.
Quand on a une force de caractère importante, il vaut mieux être majoritaire pour imposer ses choix. Si on se sent assez fragile, on peut avoir besoin d’être à deux, de trouver un vrai actionnaire associé, qui est l’opposé, complémentaire de vous.
Au départ, à la création de l’entreprise, vous n’êtes jamais minoritaire. En revanche, dès que vous faites rentrer un fonds d’investissement, la culture change. Après, en mode start-up, la structure peut évoluer très vite et on peut devenir minoritaire. A ce moment-là, il faut bien penser à tout dans le pacte d’associé.
En ce qui me concerne, je suis toujours majoritaire. Je veux être le seul à dire oui ou non. Cela ne m’empêche pas d’aller chercher le conseil, au contraire. Mais je dois décider seul pour écouter ma vision et mon anticipation.
Vous avez entrepris dans des domaines d’activité très variés. Quelle est votre démarche en tant qu’entrepreneur ?
La démarche est quasiment toujours la même. Quand on est entrepreneur, on commercialise un produit. La démarche d’un entrepreneur, c’est d’être en capacité de bien construire, marketer et distribuer son produit. Mais en réalité, ça va au-delà. La vraie démarche, c’est d’y associer un contrôle de gestion carré et performant.

L’entrepreneur doit être en capacité de préciser de façon détaillée le business plan et la gestion. Il doit pouvoir mettre en avant la gestion pour ne pas être en défaut. Les partenaires investisseurs demanderont toujours cette qualité. Il a toujours besoin d’adosser la créativité à de la gestion sinon ça ne donnera jamais une entreprise qui réussit.
A chaque création d’entreprise et chaque nouveau projet, il faut donc créer un business plan, aller chercher les informations de marché (concurrents, business model, historique, moyenne de marché, confrontation aux experts auditeur, comptables, banquiers…). Une fois qu’on a tout cela, on est enfin prêts à aller chercher des fonds.
Une fois qu’on a compris cela, on comprend qu’entreprendre, peu importe le domaine, c’est toujours la même démarche. Par conséquent, il n’y a pas de domaine qui ne m’appartienne pas. J’ai un produit, je dois le marketer, je m’entoure de manager performant… Je peux aller dans tout type de secteurs d’activité car je me suis construit en vrai généraliste. Juridique, comptable, financier, marketing, RH… Je peux adapter ma vision à un nouveau produit. En revanche, je ne peux pas tout faire tout seul. J’ai besoin de m’entourer de spécialistes et je les fédère autour du projet.
Mais le modèle reste toujours le même. Ainsi, je ne me pose aucune barrière en tant qu’entrepreneur. Il n’y a pas de problème, que des solutions que je dois trouver.
Quelle est la place de l’innovation dans la création d’entreprise ?
L’innovation pour moi, c’est anticiper son marché. Le point commun à toutes mes entreprises, ça a été le digital. A chaque fois, je fais passer le projet à l’ère digitale pour lui donner l’élan et la flexibilité nécessaire. Investir dans le digital, c’est déjà faire bouger les modèles.
Le monde va vite donc une entreprise est vite dépassée, vite ringardisée. Il y a une nécessité absolue d’être en phase avec la recherche et le développement quel qu’il soit. Industrie, digital, distribution…

J’investie une bonne partie des résultats et bénéfices dans l’innovation, la recherche, le développement. Cela comprend également l’intégration de métier en amont et aval de mon cœur de métier. Par exemple, pour mon activité de restauration, j’intègre également l’immobilier des restaurants, les usines pour certains produits alimentaires, les solutions de livraison…
Le but ultime, c’est d’être autonome, de ne dépendre de personne, et ainsi d’être extrêmement réactif.
Comment faire grandir une entreprise ? Comment prendre la décision de passer en franchise, de lancer un label, de développer des innovations technologiques périphériques ?
Quand on a un programme défini sur le plan français et européen, on cherche à renforcer ses métiers pour consolider les marges. C’est le principe très simple de l’effet de taille pour développer rentabilité et part de marché. Plus on devient imposant, plus les filiales en amont et en aval ont du travail. C’est la mécanique d’autosuffisance.
Après, pour savoir quand prendre telle ou telle décision, c’est davantage une question d’intuition. Il faut sentir son marché, piloter l’entreprise vers ce qu’on pense être demain.
Dans le cadre de mes restaurants, j’ai développé des activités complémentaires. Par exemple j’ai travaillé sur un outil digital pour les restaurateurs : RxDigital. En plus d’être en place dans mes restaurants, il est aussi ouvert aux autres restaurants. Depuis peu, il y a aussi RxEat pour la livraison à domicile… En ce moment, je suis sur le développement de RxGame pour faire venir des jeunes avec de la réalité augmentée dans les restaurants.
Je travaille également sur le développement du circuit court parce que je suis foncièrement convaincu que les gens vont revenir à des modes de consommation pour écologiques et plus qualitatifs.
Il faut savoir saisir les opportunités et booster la croissance. Pour le financement, si on ne peut pas s’autofinancer, ce n’est pas forcément un problème. Quand tout est bien ficelé, il suffit d’aller frapper aux bonnes portes : actionnaires et associés, contrats obligataires, fonds d’investissement, banques…
En ce qui concerne l’Etat, quelles sont les aides existantes à la création d’entreprise et au développement ?
Avant toute chose, pour créer son entreprise, la meilleure aide qu’on puisse avoir c’est la sienne. C’est son intuition, sa résilience. Si on compte avant tout sur les aides, on n’est pas dans le bon état d’esprit. Les financements, ce sont des aides passagères mais en aucun cas une façon de créer son entreprise.
Le principal fonds, c’est Bpi France. Mais même BPI a des conditions d’ouverture de compte de plus en plus fermées. On peut aussi demander des subventions régionales ou des crédits d’impôts innovation.
Mais dans tous les cas, la seule façon viable de lancer son entreprise, c’est sa propre capacité à engager un vrai projet et à le soutenir tous les jours. Personne ne le fera pour vous.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées en tant qu’entrepreneur ?
En réalité, les difficultés en tant qu’entrepreneur, ce n’est pas qu’à la création d’entreprise. Pour moi, c’est tous les jours depuis 30 ans. Si on subit les problématiques, il vaut mieux changer de métier. En tant qu’entrepreneur, il faut savoir se servir des problèmes pour grandir, corriger. Dans mes entreprises, j’ai rencontré des soucis très variés. Problème de trésorerie, croissance, gestion de personnel, culture d’entreprise… Et plus récemment, la Covid qui met du plomb dans l’aile de pas mal d’entreprises.
Pour passer outre, l’entrepreneur ne doit pas se laisser affecter sur le plan personnel et moral. Il faut avoir le cuire épais. L’exigence vient avec le temps, on apprend. C’est le lot quotidien de l’entrepreneur.

Toutefois, si je devais citer un problème précis, je dirais que le principal problème lors de la création d’entreprise et par la suite, c’est le recrutement. Pour faire vivre et grandir une entreprise, il faut pouvoir s’entourer de gens performants. Or, il est très difficile de trouver des bons équipiers et des bons managers, qui ont envie de travailler. C’est l’un des plus grands maux de la France.
On fait des investissements colossaux pour recruter alors que le taux de chômage en France est abyssal. Mais les gens n’ont plus envie de travailler. C’est le résultat de l’assistanat français avec des conditions de chômage qui font que les gens n’ont pas tellement intérêt à sortir de chez eux. Ajoutons à cela que l’éducation nationale ne fait pas sa part. On a des diplômés qui n’ont pas de compétences.
Pour moi, c’est clairement le plus gros problème.