“Brexit, quelles conséquences pour l’import-export”, Interview de Jean-François Faure, fondateur et CEO d’AuCoffre

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Le Brexit est devenu effectif au 1er janvier 2021, impactant immédiatement le monde des affaires et le commerce international. Entre une situation tendue concernant les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et la crise sanitaire qui bat son plein, l’ensemble n’est pas propice au business ni pour les pays européens, ni pour les anglais. Pour échanger sur les conséquences immédiates du Brexit et les enjeux stratégiques à plus ou moins long terme, BORDEAUX Business s’est entretenu avec Jean-François FAURE. Entrepreneur bordelais, il est notamment le fondateur et CEO d’AuCoffre et de sa filiale VeraCash.

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Pour comprendre votre rapport au Brexit, parlez-nous rapidement d’AuCoffre

Je suis le fondateur d’AuCoffre, l’une des plus vieilles fintech bordelaise. Créée fin 2008, AuCoffre a pour activité l’achat et la revente de métaux précieux comme l’or et l’argent. Nous les conservons pour nos clients dans l’un des endroits les plus sécurisés du monde.

En complément, AuCoffre a une filiale nommée Veracash. Son but est de rendre les métaux précieux utilisables au quotidien. C’est une néo-banque dont la monnaie sous-jacente sont les métaux précieux. Pour cela, nos clients disposent d’une application mobile pour consulter leur compte, ainsi que d’une carte de paiement utilisable partout dans le monde auprès des boutiques qui reconnaissent les mastercards.

Sur cette seconde activité, nous avons des ambitions européennes voire internationales. Ce qui fait du Brexit un vrai sujet…

Quels sont les impacts et les enjeux du Brexit pour les entreprises françaises ?

Pour les entreprises françaises, on est quand même passé à côté de la catastrophe. Il y aura toujours des gens qui ne seront pas satisfaits de cet accord car leur modèle économique fait qu’ils sont impactés. Mais globalement, pour les produits qui viennent du Royaume-Uni ou si vous en envoyez, heureusement, les droits de douane ne s’appliquent pas. Par contre, vous avez des formalités douanières, qui demandent un peu plus de temps.

En revanche, si vous utilisez le Royaume-Uni comme HUB pour des produits qui viennent d’ailleurs, comme Hong Kong, ils sont désormais soumis aux droits de douane et formalités. Par conséquent, la situation se complique car, à l’heure de la mondialisation, chaque pays ne produit pas forcément et peut n’être qu’un lieu de transit. Avec le Brexit, chaque entreprise doit faire le nécessaire de son côté pour changer ses process.

Même en tant que particulier, on en ressent les effets. Ainsi, même sans droit de douane, on va payer les frais douaniers. Ils correspondent aux frais de traitement du transporteur pour couvrir les déclarations douanières. Ces frais sont valables aussi pour les entreprises.

A l’heure actuelle, le Brexit crée au moins un gros bazar administratif qui a un impact sur le prix et les délais. Cela a des conséquences directes sur le commerce. La preuve avec Marks & Spencer, dont les magasins se sont retrouvés en rupture de stock sur de nombreux produits frais en provenance du RU.

En ce qui concerne VeraCash, quelles sont d’ores et déjà les conséquences ?

Pour notre activité, c’est un cas un peu particulier. En effet, on rentre dans un modèle sur lequel il aurait fallu un accord. Sauf que, dans le domaine financier, le deal n’a pas été trouvé. La problématique, c’est le passeport européen. Celui qui permet à un établissement financier, enregistré dans son pays, de proposer ses services dans tous les pays européens.

Pour fonctionner, Veracash doit émettre une carte de paiement. C’est un instrument financier délivré par des autorités financières : l’ACPR en France, la FCA en Angleterre… Veracash fonctionnait via un partenaire anglais, enregistrée à la FCA. Jusqu’au 31 décembre, on pouvait délivrer nos services partout en Europe.

Avec le Brexit, notre partenaire a préféré attendre de voir avant de prendre des décisions. Par conséquent, on a directement été impacté car on n’avait pas de visibilité. Sauf que c’est le plus important dans la finance. Nous avons donc pris la décision de changer d’établissement de paiement. Pour éviter l’interdiction d’opérer notre service, nous avons été obligés de sécuriser nos activités en changeant notre fusil d’épaule. Désormais, le changement devrait être effectif d’ici juin. Nous allons travailler avec un établissement de paiement français réputé.

Comment les dirigeants des PMEs peuvent-ils s’adapter à la nouvelle situation ?

Concrètement, les chefs d’entreprise sont forcés de faire des arbitrages. C’est là que ça va se faire essentiellement au détriment du Royaume-Uni.

En France, notamment à Bordeaux ou en Champagne, on exporte beaucoup de vin par exemple. Cela tombe bien car le vin ne rentre pas dans les quotas ou dans des taxes douanières qui vont se rajouter. On a donc que les démarches administratives qui viennent s’ajouter. Même si les transporteurs font payer des frais douaniers, sur une palette, le coût reste dérisoire. Donc, en France, on va continuer à exporter beaucoup de nos produits.

On a déjà une balance commerciale positive d’environ 12 milliards d’euros. A ce jour, je considère que cet écart va se creuser. Pour cause, jusqu’alors, les produits qu’on va acheter aux anglais sont issus de l’industrie d’assemblage, de pièces venues d’ailleurs. Sauf que ces pièces sont soumises au droit de douane, lequel impacte le prix de vente. Donc, dans un contexte où la France veut se réindustrialiser, on risque de choisir soit d’acheter les produits ailleurs déjà tout fait, soit de les assembler nous-même en France. Vu la situation, les anglais vont perdre certains marchés.

En parlant avec des contacts de l’APM, on se rend bien compte que les français n’ont pas oublié l’agilité. Donc, si le Royaume-Uni disparaît de la carte, on va trouver des solutions pour s’en passer. L’inverse, en revanche, me paraît moins évident.

D’une manière plus générale, quelles sont les conséquences du Brexit sur les marchés européens ?

Pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe, le problème est le même pour tous : Italie, Espagne, Allemagne… Sauf que comme ça n’est pas valable que pour la France, ça a un effet démultiplicateur. Si la France peut se passer du Royaume-Uni, c’est valable aussi pour les autres pays.

Aussi, si le RU ne franchit pas le cap, notamment de valoriser son savoir-faire millénaire en matière de finance, c’est un pays qui va se retrouver très isolé. Ou, en tout cas, dans une difficulté de devoir traiter les européens aussi difficilement que des pays hors UE.

Ils vont probablement miser sur le commonwealth mais pour moi c’est un fantasme. Les échanges entre ces différents pays sont quand même relativement limités.

Le Brexit a des impacts très forts sur les anglais. C’est très dommage car sur le court et moyen terme, ce sont ceux qui avaient voté pour le Brexit qui vont être les plus pénalisés. Les ouvriers, les pêcheurs exportateurs de fruits de mer…

Dans un pays complètement bâti sur un modèle d’import-export, les nouvelles frontières vont forcément créer un manque.

De plus, le Brexit pour les anglais est arrivé au pire moment. Ils se retrouvent avec un effet ciseau entre les conséquences prévisibles du brexit et les conséquences économiques de la crise sanitaire.

Pourquoi le Royaume-Uni pourrait-il devenir le Singapour de l’Europe ?

Pour moi, c’est leur seule planche de salut. C’est un pays qui n’est plus au sein de l’UE, au même titre que la Suisse ou même l’Andorre. Aussi, les règles européennes ne s’appliquent plus à eux et le passeport financier n’existe plus. Sur le plan modélisation des services bancaires et financiers, ils peuvent désormais faire ce qu’ils veulent. Et pour moi, ils n’ont pas le choix. 

Le Royaume-Uni, c’est un millénaire de savoir faire dans la finance. En revoyant la législation et la fiscalité, il peut devenir un pays d’adoption sur le plan fiscal pour les produits boursiers complexes.

Londres pourrait être la capitale du shadow banking, de la finance qui n’est pas de la bancaire classique. Toutes les fintech, tous les services financiers un peu annexes risquent de se développer au RU car ils pourront proposer un cadre légal simplifié et fiscalement allégé.

Le Royaume-Uni pourrait prévoir de faciliter les créations d’entreprises sur son territoire. Y compris pour les ressortissants non-anglais, qui pourraient très bien ne pas payer d’impôt dessus, comme le font d’autres paradis fiscaux. Un “Singapour sur Tamise” comme le disent certains.

Ils n’ont pas tellement le choix. Quand on est dos au mur, on a besoin de trouver des solutions pour continuer de vivre. Toutefois, la période de transition va être très dure. Je ne pense pas qu’ils iront trop loin sur les facilitations, au risque de se retrouver sur liste noire. Mais on pourrait voir apparaître un modèle qui sera peut-être borderline.

Quelle protection des droits des consommateurs pour les achats (e-commerce) outre-Manche ?

On va probablement passer par différentes étapes et les autorités européennes vont être vigilantes. Tous les produits importés et fabriqués au RU jusqu’au 31 décembre étaient aux normes européennes. Donc ceux-là n’ont pas de raison de changer et vont pouvoir continuer d’être commercialisés en Europe.

En revanche, il va y avoir un gros travail de la part des anglais pour maintenir des normes de qualité équivalentes CE pour les nouveaux produits. Logique puisqu’une importation dans l’Union européen implique des contrôles. Les produits doivent donc être aux normes.

Si les malfaçons au regard de la réglementation européenne deviennent un problème, l’accord risque d’être remis en question. Notamment si le Royaume-Uni ne joue pas le jeu. Je pense notamment à des produits moins chers à cause de la perte de la valeur de la livre sterling, les salaires qui vont baisser, le temps de travail en augmentation à plus de 48h maximum de travail hebdo… Et des produits de moins bonne qualité.

On pourrait se retrouver avec un pays à bas coût à 40 km des frontières européennes. Peut-être que sur le plan industriel, dans quelques années, le RU pourrait concurrencer certains pays de l’Est à bas coûts. Sauf que ceux-là sont soumis aux normes CE.

Toutefois, si la qualité des produits vient à baisser, le Royaume-Uni risque d’avoir des problèmes pour continuer à exporter. Les entreprises pourraient être soumises à des quotas et des taxes.

Qu’est ce qui va changer pour les ressortissants britanniques suite au Brexit ?

Une entreprise française peut être concernée par les produits mais aussi par les ressortissants. J’ai travaillé avec un ressortissant de Grande Bretagne. Aujourd’hui, il a jusqu’au mois d’octobre pour faire une demande auprès de la préfecture pour un titre de séjour. D’une manière générale, si un ressortissant anglais est en France depuis moins de 5 ans, son titre de séjour lui octroie 5 ans supplémentaires en France. S’il est là depuis plus de 5 ans, il a le droit de rester 10 ans de plus.

Concrètement, pour rester en France après cette échéance, il faudra arriver à se faire naturaliser. Sinon, ils seront considérés comme tourisme et n’auront qu’une autorisation de trois mois.

A l’inverse, un français au RU, passé un délai de 6 mois, doit trouver une solution. Il a besoin de gagner des points avec par exemple un contrat de travail, en sachant parler anglais… Concrètement, il doit prouver qu’il mérite de rester.

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